araignée du matin...
de J.M. KELLERN
Pourquoi tu ne bouges pas ?
L'araignée fait la sourde oreille, celle qui n'entend que les frissons de la toile sous le vent.
"Mina, mais c'est la mouche que j'attends !
Et un jour, ma mouche viendra..."
Pour tromper l'impatience,
tous les rôles sont bons à jouer pour la petite fille...
Mais l'araignée sourde oreille,
confondue avec la vibration de sa toile d'attente,
reste muette et immobile au bord du vent.
Chaque jour, pendant des heures,
Mina est dans le jardin,
assise devant le massif de marguerites,
à espérer en vain un éclair de griffes et de venin.
C'est le temps des vacances,
le temps du vide à attendre que cela passe
et celui des jours sans fin qui s'étirent autour d'elle comme une bave.
Ses jambes sont raides, envahies par les fourmis ...
jusqu'au moment où elle se lève, déçue :
le mouvement tant attendu ne viendra pas.
D'un geste, elle déracine une grosse marguerite,
et en trois coups de pinceaux,
elle frappe l'araignée et efface la toile...
- Imbécile !
Tu vois ce que tu as gagné à rester comme ça sans bouger !
Sans rien faire d'autre que d'attendre ta mouche comme une princesse !
Depuis des semaines, l'araignée était sa seule amie.
Le soir même, Mina faisait sa première fugue ...
Aucune pensée ne vient jamais troubler l'araignée.
Aucune agitation ...
Il y a juste un moment où elle danse entre les pierres,
les feuilles et les fleurs, suivant les angles concentriques de l'ombre
et de la lumière, son abdomen tissant les formes de la magie
qui la relie au monde.
Il y a un moment où ses pattes la propulsent en un point de la toile,
où son corps tourne autour de la proie,
où ses mandibules absorbent les chairs liquéfiées et les sucs vitaux.
Il y a un moment où elle est immobile comme une étoile au bord du vent,
où rien n'existe en dehors d'elle que la musique du monde.
A être là sans rien attendre, complète et simplement vivante.
- Mais qu'est ce que tu attends ? dit Mina à l'araignée.
Pourquoi tu ne bouges pas ?
Quand la silhouette de la petite fille éclipse le soleil,
l'araignée ressent une douce variation de température
comme un nuage qui passe.
Il y a juste un moment où elle meurt sous l'impact de la marguerite.
Un moment où la toile se déchire. Mais aucune déception.
L'araignée n'a jamais cru aux mouches ...